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22 février 2009 7 22 /02 /février /2009 17:13
[Ecrit pour Evi.]


Elle dit
je suis désolée c'est toi que j'ai choisi.
Et sa voix tremble un peu. Juste un peu.

Elle dit

cela aurait pu être quelqu'un d'autre, pas n'importe qui mais, c'est vrai, cela aurait pu ne pas être toi, après tout. Tu pourrais être ailleurs, juste là en ce moment précis, et moi aussi. Hasard ou fatalité, c'est toi, pourtant – seulement toi et aucun autre. Et oh, si, je suis désolée...


Elle dit

tu sais, j'ai la tête qui tourne alors pardonne-moi si mes mots ne sont pas bien droits, si toutes mes phrases vont de travers, j'ai juste besoin de te parler parce que ça fait trop longtemps que je ne le fais plus – c'est comme si je l'avais oublié, un peu comme on oublie de faire du vélo – ce que je veux dire c'est que même s'il y a des automatismes cachés dans un coin poussiéreux de nos têtes, ce n'est pas si facile... c'est juste, quand tu n'es pas monté sur deux roues depuis longtemps, au début tu vacilles un peu, non ? Le temps de retrouver tes marques. Et bien tu vois, c'est un peu ça, c'est ce moment-là, comme si je me souvenais à peine des mots, comme si je me souvenais du sens – il faut le temps de se remettre sur les rails.


Elle dit

il y a eu un temps où tout était facile, mais il me semble tellement loin que même son goût me demeure à présent inaccessible. Je ne sais plus comment faire pour me lever et vivre une petite vie normale. Regarde-moi et dis-toi que celle que tu vois n'a que vingt huit ans alors qu'elle en paraît quinze de plus, tu comprendras qu'il fallait bien que tout ce que j'ai vu se marque quelque part, dans les rides précoces d'une peau ternie trop tôt – il y a des choses, comme ça, il faut apprendre à survivre avec, tu ne peux pas leur tourner le dos. La mort des hommes en fait partie, leur mort leur mensonge et leur souffrance. Leur torture, aussi.


Elle dit

regarde, j'ai les mains sales, non, ce n'est pas vrai, c'est encore un mensonge, ce ne sont pas mes mains qui sont sales mais moi, sans distinction, tout en moi est sale tu vois, pourquoi juste les mains ? C'est stupide, on dit toujours ça, comme si tous nos vices trouvaient refuge dans le relief étrange de nos paumes, dans les courbes de notre ligne de vie accidentée – quelque part par là. Mais c'est faux, en réalité, nos immondices ne se cachent nulle part, c'est juste que personne ne sait les voir.


Elle dit

tu es mignon, je suis désolée. Quel âge tu as, la petite trentaine ? Quelque chose comme ça, sûrement – tu es plus vieux et pourtant, tellement plus jeune. Mais as-tu vu la guerre ? Je ne te parle même pas de celle des premières lignes, plutôt des dernières. As-tu jamais vu ces guerres dont personne jamais ne parle, où les adversaires restent irrémédiablement humains ? A l'un contre un. As-tu jamais vu, pris part à cette guerre nécessaire, sans laquelle la victoire serait impossible ?


Elle dit

oui, ce sont des meurtres. Ils me regardent quand je les tue et je vois dans leurs yeux tout ce que leurs lèvres taisent.


Elle dit

ce qu'ils semblent dire, à ce moment-là... je ne te le dirai pas.


Elle dit

et je me suis posé la question, j'ai cherché la réponse et c'est la seule qui me soit jamais venue à l'esprit – ironique, non ? Mais tu ne saurais pas me dire, toi non plus, comment doit-on faire pour retrouver notre innocence. Et ce n'est pas juste, mais il fallait quelqu'un – il fallait ce quelqu'un pour faire ce que je veux que tu fasses, aujourd'hui.


Elle dit

oui, c'est injuste, vraiment injuste. Mais nous vivons dans un monde cruel, tôt où tard il fallait bien que tu l'apprennes, toi qui sembles sorti d'une pub pour je ne sais quelle grande marque avec ton costume fraîchement repassé et ton sourire éclatant – enfin, ce n'est pas vraiment que tu sois en train de sourire. Je ne t'en blâme pas, je comprends très bien qu'avoir un révolver pointé entre les deux yeux ne soit pas particulièrement engageant. Et pourtant, tu ne pleures pas, tu ne gémis pas et cela aussi, cela me plaît énormément. Tout à l'heure, oui, au moment où je t'ai choisi, tu avais l'air heureux, insouciant – en un mot, ignorant. Tu étais là dans ce café désert devant ton verre en plein milieu du jour, je me suis dit que ce serait toi.


Elle dit
vraiment je suis désolée...

Elle dit

c'est cette innocence, vraiment, elle me hante, je n'ai pas de souvenir clair d'elle, j'ignore si je l'ai jamais embrassée mais c'est comme si... comme si quelque part je la connaissais, malgré tout, comme si je voulais la retrouver, encore une fois, une dernière fois, ne plus me sentir coupable. C'est cette culpabilité, aussi, c'est vrai, cette affreuse réalisation de ce que j'ai fait et qui ne peut être effacé. Jamais effacé.


Elle dit

non, tout cela ne partira jamais – il y a ces corps, ces larmes, ces feux jamais éteints, ces destructions, ces cris, ces suppliques « ne me tue pas, ne me tue pas » - comment cela pourrait-il partir ? - les yeux de cet enfant alors que j'interrogeais ses parents, les sanglots et la haine... Je n'en veux plus, je n'en veux plus voilà tout il est trop tard et ma vie s'est finie quand j'ai oublié d'être humaine - maintenant il ne reste plus qu'une seule chose à faire – une toute dernière chose.


Elle dit

ceci est un révolver Colt Anaconda, 44 magnum. Chargé. Il faut juste presser la détente. Ce n'est rien du tout, je le jure, il faut regarder ailleurs et appuyer, le coup partira tout seul.

Et elle pose l'objet étrange sur la table.

Elle dit
je suis tellement, tellement désolée...

Elle dit
mais si tu ne tires pas, c'est moi qui vais tirer.

Elle dit

vraiment, si tu ne tires pas, c'est moi qui vais tirer, je te jure que c'est moi qui vais tirer – non ne pleure pas, c'était mieux quand tu ne le faisais pas. Pense à autre chose, voilà, c'est ça, prend-le entre tes mains, comme ça, exactement, comme dans tous ces films que tu as sûrement dû regarder, si tu ne veux pas voir ne regarde pas, ça ne me gène pas. Et maintenant tire. Tire, sinon je vais le faire – et nous ne souhaitons pas, ni toi ni moi, que je le fasse, n'est-ce pas ?


Elle dit
TIRE, BORDEL, TIRE !
Et le coup part.

Fin.


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18 septembre 2008 4 18 /09 /septembre /2008 21:01

J'ai laissé tant de temps s'évaporer entre tes respirations. Entends-tu le souffle lourd qui pèse sur tes poumons ? Je te l'ai infligé sans le savoir, sans vraiment y croire. Sens-tu le poids insupportable du soleil qui pèse comme un fardeau sur tes épaules ? Ce devait être son rôle. Je l'ai rendu trop lumineux pour tes yeux et je t'ai caché toutes les meilleures manières d'être heureux. J'ai voulu te voir grandir et je t'ai fait enfant. Je t'ai fait faible et ignorant.

Ton coeur bat.
J'ai laissé tant de temps se blesser le long de tes veines et t'ai infligé ainsi tant de douleurs vaines. J'ai laissé tant de peines corrompre ton sang, tant de longs et insupportables tourments. J'ai permis trop de larmes, de batailles et si peu de victoires. Si peu de victoires. Tu t'es battu aveuglément pour la gloire, pour ma gloire. Tu es devenu informe, abîmé. Tu t'es perdu, gâté ; je n'ai pas su ou pas voulu t'aider. Je me suis trop de fois détourné. J'ai fait le sourd, l'aveugle et par dessus tout le muet et l'infirme. Quand ton besoin de moi était le plus éclatant, le plus immense, j'ai préféré le croire infime.
Ton coeur bat.
J'ai laissé tant de temps espacer tes espoirs. Je t'ai donné quelques droits, pour beaucoup trop de devoirs. Je t'ai alourdi de tâches en continuant de cultiver tes défaillances. Cette vie que je t'ai octroyée, je t'ai chargé de tant de raisons de la fuir, je t'ai tant poussé à l'errance. J'ai mis trop de beauté et j'ai oublié de cacher la laideur. Je t'ai abreuvé de lumière et pourtant, je t'ai accablé de noirceur. J'ai trop aimé les paradoxes. Mon sacerdoce. Tu es jeune, si jeune contre cet infini que je voulais te voir atteindre. Si jeune pour cette sagesse que, dans mes plans, tu devais étreindre.
Ton coeur bat.
J'ai laissé tant de temps rendre ton corps si sec, si froid. Je ne t'ai pas appris comment contourner mes lois. La vieillesse, la finalité, l'irrémédiable destinée, les démons que j'ai pu créer, j'ai voulu que tu les affrontes tous. Cependant, je n'ai pas pu te guider lorsque tu m'appelais à la rescousse. J'aurais dû mieux t'apprendre la contingence, la délivrance, afin que tu ne te sentes pas si déterminé, si enchaîné. J'aurais dû te faire plus véloce, que tu puisses échapper à ces bêtes féroces. Je t'ai mis tant d'obstacles, tant d'embûches, tu étais comme un intrus dans une ruche. Tu es devenu l'animal sauvage sans foi ni loi qui dévore et le mouton malingre et souffreteux que l'on dévore. Je t'ai crée loup pour toi-même. Quels odieux stratagèmes.
Ton coeur bat.
J'ai laissé tant de temps, regarde-toi, les genoux au sol et la tête posée contre la Terre, ta mère, j'ai laissé tant de temps s'enfuir. Trop de temps mourir. Et pourtant ces injustices, ces supplices, je ne les ai pas voulus. M'entends-tu ? Je ne les ai pas voulus. Mais pourrais-tu m'entendre, me comprendre ? Moi qui t'ai tant égaré, pourrais-tu me pardonner ? Il te faudrait absoudre les pêchés d'un vieillard et je t'en implore aujourd'hui. J'ignore si ma prière te parvient ; tu t'es détourné depuis longtemps d'un père dont tu n'avais hérité que de soucis.
Ton coeur bat.
J'ai laissé tant de temps nous éloigner. Le fossé entre nous s'est mué en une large crevasse, comme une bouche béante prête à t'avaler ; elle ne ferait de toi qu'une seule bouchée. J'ai laissé tant de temps se déverser, comme une cascade qui aurait noyé tous nos soupirs. Tant et si bien qu'à présent, il ne me suffit plus d'une pensée pour t'embrasser, au contraire, et plusieurs prières les mains liées sont tout juste bonnes à me laisser espérer y parvenir.
Ton coeur bat.
J'ai laissé tant de temps corrompre mes idéaux. Le temps d'effacer, d'atténuer tes cris, ceux qui m'appelaient Seigneur ou Père, le temps de perdre tes sanglots. Un temps précieux, inestimable. Un temps irremplaçable. J'ai laissé tant de temps. Tu étais mon serviteur, ma création, ma chose, mon enfant. Je t'ai fait misérable, il est vrai. Je t'ai fait homme, je t'ai fait épouvantablement simplet. Pourtant jamais tu ne t'es découragé, jamais tu n'as baissé les bras et laissé l'immuable chaîne des temps s'enrouler et se dérouler sans toi. Tu m'as exposé ta témérité et ta persévérance parfaites, tu m'as montré tes si nombreuses réussites, qui n'étaient presque jamais ce que j'avais prévu pour toi. Tu m'as surpris, désarmé. Je me suis perdu en oubliant quelle était la plus belle de mes créatures, et je suis revenu pour te retrouver métamorphosé.
Ton coeur bat.
Tu sais mon fils, je n'ai pas de main, je n'ai pas de corps, mais j'aimerais que tu te souviennes de mon omniprésence. J'ai été longtemps ailleurs, je l'admets, mais je t'en prie entends ma repentance. Je n'ai pas de main, je n'ai pas de corps, c'est pourquoi toutes ces images ne me servent qu'à te faire oublier mon intangibilité et mon éloignement. Je suis là, je veux que tu le saches, que tu te souviennes qu'il te suffit de penser à l'idée que je représente pour que je sois à tes côtés, en un instant. Souviens-toi que tu as tout ce que j'aurais voulu te donner. Ma chair, mon sang et, surtout, ma volonté.
Ton coeur bat.
Et c'est bien mon plus beau combat.

Fin.

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